Nouvelle publiée sur Chronique de Nuit le blog du Collectif Polar Bibliothèque. Elle a été classée deuxième ex-aequo (avec celle de l’écrivain Lou Vernet) dans le cadre du concours de nouvelles sur le thème « Un anniversaire qui dérape » organisé pour les quatre ans du blog. Merci à eux !
Barbecue végan
Tout est prêt.
Le gâteau sans œufs mais avec bougies et chocolat, le champagne rosé, les jus de fruits bio. Trente, les bougies. Ça commence à faire, mine de rien.
Mais on s’en fout, non ? C’est pas le but de l’histoire que je vais leur raconter, à ces fils de pute, pour mon anniversaire.
J’ai mis ma robe verte. Quoique j’ai hésité avec la rouge, mais j’ai eu peur que ça les effraie, mes amis végans.
Vert, donc, c’est la couleur de l’espérance. J’espère, aussi, celle de la vengeance. Il paraît que c’est un plat qui se mange froid. Tant mieux, le champagne est bien frais.
On sonne. Déjà ? Je leur avais dit 14h30. Un coup d’œil dans le miroir de l’entrée. Elle est encore pas mal la trentenaire, malgré son regard qui se voile dès qu’elle pense à… N’y pense pas. Remets un peu de rouge à lèvres bien saignant et va ouvrir la porte.
Surprise ! C’est pas un invité. Un fantôme, plutôt. Pierre. Merde, qu’est-ce qu’il fout là ?
Aux dernières nouvelles il était à Fleury. Comment il a eu ma nouvelle adresse ? Du calme, ma fille. Mets ton décolleté en avant il n’a jamais pu y résister, et souris.
– Bonjour Pierre, qu’est-ce que tu fais là ? Quelle surprise !
– Tu ne croyais quand même pas que j’allais rater les 30 ans de ma petite Lucie adorée ? J’ai eu un peu de mal à te retrouver, ma belle, mais peu importe, me voilà ! Qu’est-ce que t’es belle !
Je ne sais pas trop quoi répondre, je suis prise de court, là. Les autres vont bientôt arriver. Qu’est-ce qu’il veut ?
– Tu te demandes ce que je fais là, hein, ma jolie ?
– Un peu, oui. Mais entre, on va boire une coupe de champagne pour fêter nos retrouvailles.
– Volontiers. Tu attends du monde, je vois.
– Oui, tu sais, la bande, quoi. Je ne les ai pas revus depuis l’accident.
J’ouvre la bouteille et nous sert une coupe à chacun.
– Tchin ma jolie, à nos retrouvailles et à ton anniversaire !
Il avale sa coupe en deux gorgées et s’allume une clope avec un Zippo.
– Tu veux dire depuis que je suis en taule, c’est ça ? Putain, c’est bon le champagne ! Longtemps que j’en avais pas bu. En plus, tu sais, en prison, ils ne sont pas particulièrement vegan friendly, si tu veux pas crever de faim tu finis par craquer. Il a l’air bon, ton gâteau.
– Il est végan, évidemment. Tu en veux un morceau ?
– Ah oui, je veux bien.
Il mange goulûment la part que je lui tends et s’en sert une deuxième sans rien me demander. Je me tais, vu qu’il a le couteau à la main. Il bâfre, il s’en fout partout. Dégueulasse.
Il se sert une deuxième coupe de champagne, la boit cul sec, rote bruyamment, et s’approche de moi.
– Les femmes aussi, ça manque, en prison. dit-il en posant sa main gauche sur mon sein.
Je laisse faire, vu qu’à la place du couteau, c’est un flingue qu’il tient à présent.
– Ne t’inquiète pas ma belle, je ne vais pas te violer. On n’a pas le temps, là, faut qu’on rejoigne les autres.
– Les autres ?
– Ben oui, tes invités ! J’ai organisé une fête surprise dans le hangar où se tenaient nos réunions, ils nous attendent tous là-bas, t’es pas contente ?
Merde. Moi qui comptais sur leur arrivée pour me sortir de ce guêpier. Il est en train de bousiller mon plan.
– Tu vas me suivre bien gentiment, on va les retrouver et vous allez m’expliquer pourquoi je suis le seul à m’être fait choper. Tu croyais quoi ? Que je dormais tranquillement dans ma cellule ? Pendant tout ce temps je n’ai tenu qu’en pensant à ma vengeance. Et ne compte pas sur ton petit cul et tes nichons pour te sauver la mise, cette fois. Allez, avance, on y va, et on prend ta voiture.
– Laisse-moi prendre mon sac, les clés de la voiture sont dedans.
Nous prenons l’ascenseur et descendons au parking, l’arme braquée sur moi à travers son blouson.
– Allez, tu prends le volant, tu connais le chemin.
J’obéis en silence. Je réfléchis à toute vitesse. Je me souviens de ce jour maudit, trois ans plus tôt. A l’issue d’une manifestation végane organisée par notre groupe, tout avait dégénéré. La boucherie industrielle en flammes, les cris, les pompiers, la victime décédée des suites de ses brûlures, et les autres qui disent : c’est bien fait pour sa gueule, il n’avait qu’à pas acheter de cadavres d’animaux ce viandard. J’avais toujours été, comme la majorité des végans, pour un mouvement pacifique, mais certains s’étaient radicalisés et prônaient la violence. Je ne sais pas qui, du groupe, avait déclenché l’incendie. Ce que je sais c’est que c’est Pierre qui s’était fait prendre et que tout le monde s’était éparpillé dans la nature, le laissant payer. Et maintenant il revenait pour se venger.
Ça tombait bien, finalement.
À propos de Pierre, comme je l’espérais, le gâteau commence à faire son effet, je le vois cligner des yeux, il a du mal à tenir à tenir son flingue et c’est d’une voix pâteuse qu’il me dit : On est bientôt arrivés, pas d’entourloupe, putain t’as mis quoi dans ce gâteau ?
Je ne réponds pas. Nous sommes arrivés au hangar. Je lui prends doucement l’arme des mains, descends de la voiture et je vais chercher le jerrican d’essence que je garde dans le coffre en cas de panne. J’ouvre la portière du passager :
– Allez, descends tant que tu en es encore capable, on va voir les autres, file-moi la clé.
J’ouvre la lourde porte coulissante et quand les cinq autres me voient, c’est un grand cri de soulagement.
– Lucie, te voilà ! Il nous avait enfermés ! Il nous a dit qu’il allait te chercher ! On avait tellement peur ! On ne savait pas ce qu’il voulait faire ! Il disait que c’était l’heure du jugement et de la vengeance ! Impossible de te prévenir, il nous a confisqué nos portables ! Dieu merci, tu es venue nous délivrer ! Il ne t’a pas fait de mal, au moins ?
Pathétiques. Finalement, c’est bien qu’il soit revenu, Pierre. Je vais pouvoir m’occuper d’eux tous en même temps, ce sera plus facile que chez moi où j’avais l’intention de les endormir avec mon gâteau et de les buter ensuite. Je pousse Pierre qui tient à peine debout devant moi et je pointe le flingue sur eux.
– Asseyez-vous par terre, tous ! Je vais vous raconter une histoire. Enfin, pour toi, Pierre, vu que tu es écroulé, tu peux rester allongé, mais ouvre grand tes oreilles. Je vous avais toujours dit que j’étais contre la violence. Nous nous battons contre celle faite aux animaux, ce n’est pas pour faire du mal aux humains.
Il faut agir pour convaincre, se faire entendre, manifester, mais la violence, jamais. Je sais que toi, Pierre, et certains d’entre vous étiez plus virulents, mais la condition pour que notre groupe reste soudé c’était de continuer à agir pacifiquement. Ce soir-là, l’un d’entre vous, après avoir menacé le boucher et les clients présents devant la boutique, a mis le feu. Ils s’en sont tous sortis, même si certains ont gardé des séquelles graves. Sauf un. Et celui-là, c’était mon demi-frère, apprenti en alternance. Nous n’étions pas d’accord et j’avais choisi sa boucherie pour lui mettre la pression et le pousser à changer de voie, mais il est mort à 17 ans à cause de vous. Personne n’a parlé, tout le monde s’est tiré, sauf ce con de Pierre, que personne n’est venu défendre entre parenthèses. Il a tout pris.
Je comptais m’occuper de lui mais il nous a fait l’honneur de venir à ma petite fête d’anniversaire. On va donc déclencher un joli petit incendie. »
Il faut que je fasse vite, ça commence à s’agiter et à supplier, sauf Pierre, qui dort comme un bienheureux. Je prends le Zippo dans la poche de son jean et leur ordonne de se taire et d’aller au fond de la pièce. J’asperge les palettes entreposées à l’entrée avec le contenu du jerrican, j’ouvre le briquet et le balance dans l’essence avant de me précipiter sur la porte que je referme à clé derrière moi. Ça devrait faire un chouette feu d’anniversaire.
L’heure du barbecue a sonné.