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Tu aurais pu être ce vieil homme falot qui entrait chaque après-midi dans la bibliothèque avec tout son barda dispersé dans des sacs en plastique.

Tu aurais pu vivre dans un foyer dont tu te serais sauvé chaque jour quelques heures pour échapper à la folie qui te guettait et finissait toujours par te rattraper, où que tu te trouves.

Tu aurais pu être un improbable agent secret, petit, fluet, se fondant dans la masse avec son physique passe-partout.

Tu aurais pu être un vagabond, sans famille, sans amis, errant de pays en pays, de ville en ville, avec un sac à dos trop lourd pour tes maigres épaules.

Tu aurais pu être un chercheur un peu fou, calculant sans fin sur des calendriers des postes le nombre de jours exacts séparant ta naissance de ton soixante-dixième anniversaire, refuser l’aide de la technologie et t’interroger sans fin sur l’impact des années bissextiles sur tes calculs.

Tu aurais pu rédiger des courriers mystérieux, des lettres de réclamation, des missives aux administrations, au président de la République, écrire des brouillons, recopier au propre et recevoir, parfois, des réponses qui ne t’auraient jamais satisfait.

Tu aurais pu avoir un orgue de barbarie et un chat et mendier sur le parvis de Notre-Dame au milieu des touristes.

Tu aurais pu sortir de prison, avoir commis un hold-up de génie dans une bijouterie de la place Vendôme, avoir purgé ta peine et vivre chichement dans un petit studio.

Tu aurais pu être gymnaste dans ta jeunesse, faisant danser ton corps sec et agile sur des barres parallèles et gagner des médailles que tu conserverais dans une boîte en fer cachée sous ton lit.

Tu aurais pu disparaître pendant des jours, des mois, refaire des apparitions et finir par ne plus revenir du tout.

Tu aurais pu mourir sans que personne s’en aperçoive.